(ats) Au terme d'un débat-fleuve, le National a recommandé jeudi le rejet l'initiative populaire UDC "Pas de Suisse à 10 millions!", qui réclame un contrôle strict de l'immigration. Seule l'UDC a soutenu le texte. Le Centre a lui plaidé pour un contre-projet, sans convaincre.

L'initiative demande que la population résidante permanente de la Suisse ne dépasse pas dix millions de personnes d'ici 2050. Le Conseil fédéral et le Parlement devraient prendre des mesures dès que la population dépasse les 9,5 millions.

Les personnes admises à titre provisoire ne pourraient plus obtenir d'autorisation de séjour ou d'établissement, ni la nationalité suisse, ni aucun autre droit de rester. Si ces mesures ne sont pas suffisantes, Berne devrait résilier des traités internationaux, notamment l'accord sur la libre circulation des personnes avec l'UE.

Infrastructures saturées

L'udc a rappelé que la Suisse avait gagné environ deux millions d'habitants en 25 ans et que, depuis 2000, la population suisse avait augmenté seize fois plus que celle de l'Allemagne. Les infrastructures sont saturées.

Les oratrices et orateurs UDC ont listé des transports publics bondés, des embouteillages à n'en plus finir, la pénurie de logements et des loyers en hausse, un recul des terres cultivables, ou encore une augmentation de la criminalité. "Trop, c'est trop", a estimé Pascal Schmid (UDC/TG).

"Il s'agit de reprendre le contrôle de l'immigration pour préserver notre environnement et notre paysage", a avancé Jean-Luc Addor (UDC/VS). Et Céline Amaudruz (UDC/GE) de demander: "Voulons-nous être nombreux ou heureux?"

Pénurie aggravée

Les opposants au texte ont souligné que l'économie a besoin de l'immigration et que son acceptation aggraverait encore la pénurie de main-d'oeuvre dans certains domaines, notamment celui de la santé. Le besoin de main-d'oeuvre étrangère sera encore exacerbé par le vieillissement de la population, a précisé le ministre de justice et police Beat Jans.

Dans les hôpitaux, un tiers du personnel soignant est étranger. Dans les EMS, cette proportion est même de près de 50%, a rappelé Jean Tschopp (PS/VD) pour la commission. L'immigration stable de personnes jeunes est nécessaire pour financer l'AVS, a aussi noté Peter Schilliger (PLR/LU).

Les premières mesures seraient à prendre dans l'asile et pas dans l'immigration des travailleurs, a contre-argumenté Pascal Schmid. Ce n'est que dans un second temps qu'il faudrait limiter les travailleurs d'Etat tiers puis dans un troisième temps ceux de l'UE.

Plusieurs orateurs et oratrices de gauche ont relevé que cette initiative serait un retour au statut de saisonnier, un retour "inacceptable".

"Suicide diplomatique et économique"

Ce texte a été calibré pour mettre fin aux accords bilatéraux, a pour sa part dénoncé Philippe Nantermod (PLR/VS). Si la libre-circulation doit être résiliée, alors la clause guillotine sera activée et toutes les Bilatérales I tomberont, a détaillé Christian Wasserfallen (PLR/BE) pour la commission.

Les accords de Schengen/Dublin seraient aussi remis en question. La Suisse n'aurait par exemple plus la possibilité de renvoyer les demandeurs d'asile dans leur premier pays d'accueil, a averti le Bernois. Les mesures d'accompagnement seront elles aussi caduques, ce qui mettrait les salaires sous pression, a complété Samira Marti (PS/BL).

Faire tomber ces accords dans le contexte géopolitique actuel serait un "suicide diplomatique et économique", a souligné Benjamin Roduit (Centre/VS). Raphaël Mahaïm (Vert-e-s/VD) a lui prédit un "chaos programmé".

Dans le cadre du futur avec l'UE, le Conseil fédéral a négocié une clause de sauvegarde qui permettrait de piloter l'immigration, a rappelé M. Jans. Et d'appeler à regarder la situation en Grande-Bretagne, où le Brexit n'a pas permis de freiner l'immigration, "bien au contraire".

"Vision simpliste"

Les opposants ont reconnu que la croissance démographique présente des défis, mais l'initiative n'est pas la manière d'y répondre. "Quand un chiffre aléatoire a-t-il permis de régler des problèmes?", a demandé Greta Gysin (Vert-e-s/TI). Aucune famille ne paiera moins de primes maladie si on inscrit ce chiffre dans la Constitution, a ajouté Elisabeth Schneider-Schneiter (Centre/BL).

Brigitte Crottaz (PS/VD) a elle dénoncé une "vision simpliste et une obsession de faire croire que tous les problèmes découlent de l'immigration". S'il n'y a pas de place dans les transports publics, c'est parce qu'il n'y a pas eu suffisamment d'investissements, a complété Tamara Funiciello (PS/BE).

L'udc parle d'une initiative pour la durabilité, mais elle n'a de durable que le nom, a accusé Céline Weber (PVL/VD). Et Valérie Piller Carrard (PS/FR) de pointer une "hypocrisie de la part du parti le plus anti-écologiste de Suisse".

Pas de contre-projet

Le Centre a défendu en vain un contre-projet sous la forme d'une clause de sauvegarde, mais qui soit compatible avec les accords bilatéraux. La croissance démographique et ses conséquences préoccupent beaucoup de gens, a souligné Nicolò Paganini (Centre/SG).

Et d'ajouter que si la croissance se poursuit sans que les infrastructures ne suivent, cela sera à un moment donné sanctionné dans les urnes et cela pourrait se faire avec ce texte dangereux. C'est pourquoi il faut permettre à la population de choisir une autre voie qui permette de maintenir les accords bilatéraux, a abondé Gerhard Pfister (Centre/ZG).

Ce contre-projet n'offre pas de plus-value, car il n'est pas à même d'entraîner un retrait de l'initiative, selon Christian Wasserfallen. De plus, il faut penser au vote à venir sur l'UE. Il est important que la population se prononce sur cette initiative avant le vote sur le paquet de l'UE. Un contre-projet rallongerait les délais.

Plus de 100 orateurs se sont exprimés lors de ce débat qui a duré au total plus de dix heures, étalées sur deux jours. Le Conseil des Etats doit se prononcer à son tour.